Il faut absolument que je partage ça :
http://yourzone.beinsports.fr/thierry-adam-la-tele-rend-fou-et-le-tour-rend-cingle-93856/
(Il a une dent à la couleur du maillot de Froum-Froum et l'autre de celui de Quintana. Être journaliste, c'est être neutre. C'est ce que disent... ceux qui ne sont pas journalistes.
)
Je dois préciser que je ne suis pas arrivé à aller au bout. Ce n'est pas un article, c'est un texte brut dactylographié.
C'est incroyable ! Il semblerait que ce soit du vrai. J'ai pourtant été obligé de me demander si ce n'était pas un gag, une imitation.
cyclisme
Interview – Thierry Adam : “La télé rend fou et le Tour rend cinglé”
Photo Panoramic
Interview – Thierry Adam : “La télé rend fou et le Tour rend cinglé”
Le Tour de France est lancé avec déjà 3 belles étapes qui rentreront dans les annales. L'occasion pour nous de revenir sur un évènement marquant pour le groupe "Le Village Sports" : Il y a 6 mois presque jour pour jour, l'un d'entre nous a eu la chance d'interviewer une des voix françaises du cyclisme, Thierry Adam, actuel commentateur du Tour de France chez France Télévisions. Nous vous proposons de retrouver le contenu de leur discussion autour d'un café dans un bar d'Amiens. Thierry Adam s'exprime sur de nombreux points comme le parcours scolaire du journaliste sportif, son travail de journaliste chez France TV, ses collaborateurs, mais aussi le dopage, le cyclisme français, et le Tour de France 2015 (parcours et coureurs).
Pierre Hertout : Bonjour Thierry Adam, merci d’avoir accepté de répondre aux questions. Je vous présente brièvement, vous êtes le commentateur du Tour de France depuis maintenant plusieurs années. Combien de temps cela fait-il que vous exercez cette fonction ?Thierry Adam : ça fait 7 ans, ça va faire 8ème comme commentateur, ça va faire 19 ‘’Tours’’. Oh… j’ai pris un coup de vieux.PH : Avant tout cela, en voulant devenir journaliste, aviez-vous déjà une passion, une attirance particulière pour le sport ? C’était une voie que vous aviez à la base choisie ?
TA : Moi je ne voulais faire que du sport, j’aurais voulu être sportif de haut niveau mais bon, je n’avais pas le niveau. Je fais du foot, je pense que j’aurais été fort en athlé mais… Si, j’avais pu de l’athlé mais bon.
PH : (…) Je suppose qu’évidemment, avant d’en arriver jusque-là vous êtes passé par les études ?
TA : Oh moi bah j’ai fait mon BAC, j’ai fait école de journaliste à Paris et puis après voilà quoi…
PH : C’est donc à cela que peut se résumer le parcours d’étudiant ? BAC puis école de journalisme ?
TA : Ouais, mais aujourd’hui c’est moins facile. Parce que… (hésitation) Chez nous tu vois souvent c’est des contrats sur 2 ans et puis après on t’embauche. Je suis arrivé à Paris en 98, et depuis que je suis à Paris, j’en ai vu… (il réfléchit) 4-5. Ce n’est pas beaucoup… Des mecs qui ont fait Bordeaux, des mecs qui ont fait Lille…
PH : Donc peu de gens peuvent rentrer dans le métier ? C’est un peu fermé ?
TA : Oui aujourd’hui… Soit tu passes un concours direct [ndla : d’école de journalisme] mais qui n’est pas facile ! Enfin moi je conseillerais de s’inscrire dès maintenant à Lille, à Tours, à Bordeaux… Je pense que c’est le mieux. Ou après il faut que tu fasses Sciences Po mais ce n’est pas facile. Après je ne suis pas fan des classes prépa. Parce que 1 an de prépa ça prépare à quoi ? Est-ce que ça prépare vraiment à l’examen qui va suivre ? Je ne suis pas sûr… Après, le mieux, l’idéal c’est de faire l’école de journalisme, mais c’est super compliqué. C’est du bon niveau. Aujourd’hui il y a les langues qui sont devenues indispensables. Moi je ne l’avais pas mais bon, l’anglais c’est la base (…) Quel est ton sport à toi ?
PH : Du Triathlon, et puis après les disciplines respectives à côté.
TA : Ah super ça ! J’ai un bon triathlète avec moi ! Nicolas Geay bien sûr et puis Jalabert aussi.
PH : J’ai pu lui parler une fois sur Twitter car il avait fait un reportage.
TA : Ah oui c’est un grand Twitter-Man lui ! Je suis Facebook-Man et lui il est Twitter-Man. Twitter ça me gave, ça taille de trop, c’est devenu trop la porte ouverte à n’importe quoi. Après il y a du vrai, mais il y a tellement de faux. Moi j’ai découvert qu’il y avait des mecs que je connaissais qui tweetaient des grosses conneries sur moi, c’est même méchant parfois, mais ça n’a aucun intérêt. Ça fait plus de mal à mes gamins d’ailleurs parce qu’eux ils tweetaient – c’est eux qui avaient voulu que je tweet – donc au bout d’un moment… Je dois encore avoir un compte, mais bon Facebook c’est différent et je paramètre mes amis. Il y a longtemps que je n’y suis pas allé parce que je n’ai pas trop le temps mais ça permet de m’organiser, parce que quand on bouge à droite à gauche ce n’est pas toujours facile.
PH : Et donc pour en revenir à vos études, vous êtes ensuite allé à Paris après l’école de Journalisme ?
TA : J’ai fait un parcours qu’il ne faut surtout pas que tu fasses, sinon tu n’y arriveras jamais, tu ne seras jamais journaliste. Moi j’ai fait 2 ans d’école à Paris, et au bout d’un an et demi, on avait des stages à faire, que l’on trouve quand on cherche, je connais des tas de stages intéressants. Et après je suis parti, j’ai bossé 6 ans et après j’ai fait ce qu’on faisait à l’époque. Aujourd’hui c’est un peu plus difficile, je tournais dans toute la France… Après fallait aimer, parce que ce n’est pas bien facile. C’est 3 jours à droite, 1 semaine ici, puis un jour j’ai atterri à Amiens et ils m’ont proposé un contrat d’un an parce que celui des sports partait. La première fois que je suis arrivé ici, j’ai fait de la radio locale. Je suis arrivé à Amiens à la gare, j’ai dit… « Putain, je fais une semaine et je m’en vais… » Ce n’était pas ce qui me fallait. Enfin 20 ans après je suis encore là, je me suis marié ici, j’ai mes enfants ici… En fait je reviens parce que mes enfants sont ici, sinon je suis à Paris.
PH : Un parcours qui a abouti sur votre poste actuel, et aujourd’hui en tout cas, en allumant sa télé, on vous voit assis avec vos fiches, un micro, et on vous écoute parler. Pourtant je suppose qu’il y a la face cachée, du travail en amont ?
TA : Oui, sur le Tour par exemple, ça fait beaucoup… (il réfléchit) Nous la cellule directe, on est une dizaine, si tu comptes les techniciens. Parce que tu as les rédacteurs en chef, tu as Jaja, tu as Nico, les motos, tu as Jean-Paul qui n’est plus là mais qui sera peut-être remplacé, tu as le mec du son… Rien qu’en intérieur on est déjà une douzaine. Moi quand je fais le Tour j’ai quand même 6 personnes qui me parlent, parce que t’as les pages de pub, les motos… Il y a un tas de choses qui se passent, moi j’ai tous les écrans, j’ai toutes les images. Je suis assez organisé donc ça va mais par exemple on sait qu’on a une page de pub à l’heure, on sait qu’on a un jeu toutes les demi-heures, etc…
PH : Mais on retrouve cela dans l’athlétisme, le football… C’est le même système partout ?
TA : Tous les jeux ! C’est comme le reste tout doit être préparé. Le Tour ça commence maintenant. Voilà, là on est rentré en Janvier, c’est un peu mon point de repère. Le Nouvel An est passé, dès qu’on a un peu de temps on commence à préparer. Après moi je fais toutes les étapes tout seul.
PH : Vous préparez donc tout de votre côté ?
TA : Oui, sans savoir si ça servira, et heureusement d’ailleurs ! Sinon je n’aurais pas d’adrénaline à faire du direct… Après faut que tu choisisses ! Soit tu fais de la presse écrite, soit tu fais de la radio, soit tu fais de la télé. Après la télé c’est ce qu’il y a de plus difficile, il n’y a pas beaucoup de places. Après soit tu fais des reportages classiques, soit tu fais du grand reportage.
PH : Vous avez évoqué tout à l’heure Jean-Paul Olivier, vous avez eu plusieurs spécialistes avec vous. Est-ce que vous pourriez rapidement parler lui ? Ce personnage qui plaît aux spectateurs, avec autant de connaissances.
TA : Le meilleur résumé c’est ce qu’on dit nous, aujourd’hui pour le remplacer c’est impossible car il est irremplaçable ! Quoi qu’il arrive on ne trouvera jamais quelqu’un qui lui correspond. Bon, après on travaille hein, moi j’ai un bouquin comme ça (fait un geste montrant un livre très épais). Il n’y a que sur les coureurs où c’est propre à nous, moi j’ai ma banque de données depuis plus de 10 ans, avec aussi des stats, des trucs comme ça… Mais ça demande beaucoup, c’est pour ça qu’on a 3 ordis, pour avoir un peu de tout. Aujourd’hui avoir de l’info c’est facile, ça l’était moins avant, mais le problème c’est de savoir s’en servir au bon moment. Tu peux avoir 10 000 infos, si tu ne la sors pas quand il faut ça ne sert à rien. C’est pour ça qu’il faut travailler, et avec la technologie aujourd’hui. Et pas Wikipédia surtout, même si ça a été beaucoup corrigé. Alors c’est marrant parce que quand je « tweettais » justement les mecs pensaient beaucoup qu’on travaillait sur Wikipédia alors qu’on ne travaille pas du tout sur Wikipédia comme avec « Papy Wiki ». Jean-Paul c’est un super mec qui est parti de rien. Je viens de finir son bouquin, en fait il a commencé à Alger, après il a du aller en Bretagne, parce qu’il est de Concarneau. Puis après il a connu la grande époque de Stade 2 ! Il a connu l’élite : Chapatte, Thierry Rolland, Roger Couderc… Mais nous on a des relations très proches, un peu de grand-père à petit-fils quoi. Jean-Paul quand je suis arrivé, il partait, avait l’âge de prendre sa retraite et j’ai dit « Ah non non, il ne peut pas partir lui, c’est impossible ». Donc on a commencé à bosser ensemble et puis on a super accroché, on est amis quoi. C’est important, l’humain dans le métier c’est important, même dans tout aujourd’hui. L’humain est rare ! (en haussant le ton) L’humain est rare. (rires)
PH : L’humain estt toujours présent puisque vous avez eu plusieurs collègues notables, notamment notre regretté Laurent Fignon. Ce qui est intéressant c’est que beaucoup l’ont côtoyé plutôt comme coureur, quipier, leader… Vous, vous l’aviez en tant que collègue, qu’est-ce que vous retenez de Laurent Fignon ?
TA : Laurent c’est le mec qui a le plus de caractère. Le plus amusant c’est que la première fois où on s’est vu, quand sje uis arrivé sur le Tour en 97, en mai, il m’a dit qu’il ne me connaissait pas et 1 an après, quand il a re-signé son contrat, il avait mis une clause en disant « Si vous me changez le commentateur, si vous changez Thierry Adam, je me donne le droit de partir » ; tout est résumé. Après c’était un mec qui chambrait. (pause) Moi j’étais content de faire le téléfilm après sur lui, c’était sympa. Je suis toujours très ami avec sa femme, on est restés très amis.
PH : J’ai parlé de Jean-Paul Olivier, de Laurent Fignon, et si je parle de Thierry Adam ? Qu’est-ce qui le caractérise ?
TA : Il bosse. Un mec qui bosse, qui aime le vélo, enfin qui aime le sport. Après je suis un mec on ne peut plus normal. Moi je suis anti-star. (…) Je parle plutôt du Tour parce que c’est ce qui apparaît le plus, mais c’est aussi vrai dans le reste. Je vois quand on fait Paris-Nice, on a beaucoup moins de monde. J’organise avec Jalabert, moi je regarde les chambres d’hôtel, on est tous les 2 dans la même voiture. C’est une autre expérience. Sur le Tour, c’est un petit peu différent, mon résumé il est simple : aujourd’hui t’es chef d’orchestre ! Avec 2 motos, etc… Après faut essayer de donner le meilleur possible, et à la fin du mois de Juillet si les gens ont oublié le nom du chef d’orchestre ce n’est pas grave. Y a plein de gens qui me connaissent par ma voix, ou qui ne me connaissent pas, mais ce n’est pas ça qui est important ! L’important c’est que les gens soient contents. La grand-mère, à 80 ans, le lundi après le Tour elle te dit « Bah vous me manquez ». On peut imaginer qu’elle vivait dans la ferme de machin, ou elle a vécu pendant 60 ans avec son mari, elle est toute seule, et à un moment, parce que son mari regardait le Tour de France, elle allume la télé. Et là elle a plus le Tour de France. C’est ça qui est vachement important. Les jeunes qui regardent, qui savent pas trop… L’objectif c’est de donner un rôle, faut quand même ne pas oublier que quand tu commentes le Tour tu commentes un gros truc ! Le Tour c’est quand même le 3ème évènement sportif mondial, c’est même le 1er parce qu’on dit toujours qu’en téléspectateurs c’est le 3ème, derrière la Coupe du Monde et les Jeux, sauf que c’est tous les ans. Le Tour, quoi qu’il arrive, grosso modo, quand tu commences et que tu ouvres l’antenne, t’as 3 millions et demi de téléspectateurs. C’est comme ça. C’est énorme, compte tenu des 300 chaînes que tu peux avoir partout. Même sur place, quand le Tour vient, c’est monstrueux. (…)
PH : Et justement, vous l’avez vu puisqu’avant d’être au micro, vous êtes passé par la moto. Qu’est-ce que ça fait comme sensations d’être au cœur de la course, à côté des coureurs, de naviguer d’un groupe à un autre ?
TA : La moto n’a pas d’équivalence. C’est même ce qu’il y a de mieux avec commenter le Tour. Mais ce n’est pas pareil, quand tu commentes le Tour tu as les responsabilités, et une forme d’honneur quelque part. Puis je dois en être à mon 8ème – je crois que je suis juste derrière Chapatte (ndla : 26 éditions), je ne sais même pas à combien en est Patrick Chène [ndla : 12 éditions]. Mais moi la moto c’était le régal, la seule frustration de la moto c’est qu’à 10km de l’arrivée on ne voit pratiquement plus rien et on ne voit jamais les arrivées. Il faut les regarder à la télé, mais aujourd’hui c’est quand même plus facile qu’avant. Mais c’est une sensation, parce que c’est quand même un exercice de style vachement compliqué. Il faut avoir un bon pilote, il faut que tu oublies la notion de vitesse, il faut toujours bien calculer pour être bien placé, et puis il faut être en direct ! J’ai fait des trucs où c’était quand même très compliqué des fois… Quand le mec prend un mur et qu’il a la tête comme ça, que tu attends 40 minutes que l’hélico arrive et que tu te dis que le mec il va mourir ou peut-être… Il faut quand même choisir tes mots, ne jamais oublier que tout le monde écoute, que ça devient un évènement, que d’un seul coup on oublie presque le reste… Mais moi j’adore. Moi je suis un mec de direct, le reste me fait chier, sincèrement.
PH : Un évènement comme par exemple la descente du Portet d’Aspet en 95, avec Casartelli ?TA : Moi je n’y étais pas, je suis arrivé l’année d’après, j’étais chez moi et j’ai tout de suite compris ce qui s’était passé. Je ne veux surtout pas vivre ça… Bon, ça arrivera peut-être mais je ne veux pas avoir à vivre un truc pareil. Après il faut gérer, mais le métier ce n’est pas ça. Ce que je dis toujours, le meilleur résumé, c’est que nous quelque part, moi en tout cas, on est des fabricants de bonheur. On est juste là pour qu’avec ce qu’on te donne, les images que tu as et tout ce que tu prépares, tu sois juste un fabricant de bonheur. Parce qu’aujourd’hui, la vie n’est pas facile, il y a plein de gens qui regardent la télé et qui n’ont pas forcément des vies faciles, qui ont des fins de mois difficiles… Les gens qui regardent Tout le Sport tous les jours, ça m’hallucine. J’ai jamais le temps de le regarder, mais j’adore y travailler en revanche. Ce métier là c’est un métier de bonheur, c’est un métier tellement hors norme. J’ai une amie qui ne connaissait pas du tout le monde dans lequel on est et elle hallucine, tous les gens te connaissent, ou te reconnaissent, parce que t’es dans du hors-norme, dans un métier hors-norme. Mais il faut avoir plus d’admiration pour un chirurgien, sincèrement ce qu’on fait ce n’est rien. Je travaille, point.PH : Et en général, dans Amiens par exemple, hormis un petit jeune comme moi qui vous aborde, êtes-vous facilement abordé ?
TA : Nan, c’est impossible, c’est invivable. Moi je le prends très bien parce que je connais pleins de gens, mais les gens ont envie de t’inviter à prendre un verre, ils te connaissent, ils te connaissent pas… Je voulais faire une petite soirée sympa entre amis, j’avais pris un resto où ce n’était vraiment pas possible, et je suis tombé sur un mec qui voulait absolument faire une photo ! Mais c’était gentil, ça partait d’un bon sentiment. Après il y a deux façons, et il y a une époque où j’étais plus sauvage. Quand on dit que la télé rend fou, c’est un peu vrai. Mais après je n’ai pas la notoriété, et je ne veux pas l’avoir, d’un Nelson Monfort. À Paris je peux me balader, ce qu’il faut c’est que les gens ne soient pas maladroits. Après quand c’est de bonne volonté, quand c’est l’envie de faire quelque chose…
PH : Une notoriété tout de même acquise après de nombreux Tour de France, mais lors de vos premiers, aviez-vous ce qu’il vaut mieux ne pas avoir : la pression ?
TA : J’ai jamais la pression moi. Jamais. Là je pourrais m’asseoir, prendre un écran, commenter, j’ai jamais de pression. Jamais. Et puis plus ça va moins j’en ai.
PH : On peut donc parler d’habitude qui vient ?
TA : Ouais et puis, moi ce que je dis toujours, “Tu récoltes ce que tu sèmes”, donc qu’est-ce que tu veux qu’il m’arrive ? A la limite j’avais plus de danger quand j’étais sur la moto, on en rigolait avec Laurent [ndla : Bellet], qui était un bon pote à moi, et qui lui est tombé. Mais je n’ai pas de pression. Il faut avoir conscience qu’un jour ça s’arrêtera. Trop vieux ou autre chose, il faut avoir cette conscience là ! Moi je suis prêt, si demain on me dit « Tu t’arrêtes », je ferai autre chose, et puis je gagnerai beaucoup plus d’argent. Parce que ce n’est pas un métier où on gagne beaucoup d’argent, attention hein, la télévision ce n’est pas… Mais bon ça permet de vivre largement. Mon meilleur ami est à BeIN, il a fait le Tour avec moi, et il est directeur-adjoint. Ils m’avaient proposé de faire le foot, mais en numéro 2 ou numéro 3. Comme je lui ai dit, en conclusion au dessert, « Ecoute, quand tu commentes le Tour, tant que tu commentes le Tour, tu restes. » Il m’a dit « Je savais que tu me dirais ça à un moment ou à un autre » (rires), je lui ai dit à la fin du repas. En revanche il y a des places qui s’ouvrent dans la communication, moi on m’avait fait une proposition après Paris-Roubaix. Bon j’ai réfléchi une journée, même le temps de faire Roubaix – Paris. Mais le Tour c’est un truc de cinglés, la télé rend fou et le Tour rend cinglé. Après faut pas oublier qu’il y a un mec qui commente le Tour. Moi un jour on m’a dit, « Est-ce que tu réalises ton rêve ? ». Jamais… Je n’ai jamais imaginé… Commenter le Tour c’est invraisemblable, impossible…
PH : J’ai maintenant une question peut-être un peu compliquée : cela fait 7 ans que vous commentez le Tour, les Championnats de France, des monuments comme Paris-Roubaix, de grandes compétitions… Et donc vous voyez un petit peu le peloton évoluer, aujourd’hui on est un peu dans une période de transition, où l’on a des anciens qui s’en vont. Tous les grands, comme Evans… Par rapport à la nouvelle génération, est-ce que c’est difficile de s’adapter, de savoir reconnaître les jeunes qui éclosent ?
TA : C’est plus facile parce les jeunes qui sont là, c’est ma génération, c’est une génération que j’ai commenté. Les Démare, les Bouhanni, je les ai vus arriver. C’est facile, parce qu’en plus je les connais bien, du coup je ne commente pas de la même façon. Il reste de gros dinosaures mais de moins en moins. Même Nibali, même Froome, même Contador, ce sont des coureurs que j’ai quasiment vu arriver. Tu as la génération qui arrive, celle qui a fait tourner le dopage aussi. Je pense qu’il en reste plus beaucoup dans le dopage.
PH : Mais justement, le dopage, est-ce véritablement la bête noire du cyclisme ?
TA : Non, c’est la bête noire du sport.
PH : Pour commencer, est-ce que l’on ne vous en parle pas tout le temps ?
TA : Il y a eu une époque où on en parlait beaucoup plus que maintenant mais le dopage c’est le problème du sport professionnel. Il y a beaucoup d’argent en jeu presque partout. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui un coureur cycliste comme Contador gagne 4 millions d’euros par an. Les bons coureurs gagnent 10 000 euros par mois. Après à un moment le dopage était plus dans le cyclisme que dans d’autres sports mais parce qu’il était organisé. Mais à mon avis, tous les grands sports ont quelques mecs qui se dopent. Là on commence à en trouver dans l’athlétisme, dans la natation, dans le foot américain… Je pense il y en a plus qu’on ne le croit. Mais le vélo ça a bien changé. Parce qu’à un moment on a tous compris, on était tous d’accord, je connais les managers, je connais les directeurs sportifs, je connais même les coureurs… Celui avec qui j’ai le plus discuté c’est Philippe Gaumont, il jouait au foot en cadets avec moi. Philippe je l’ai vu démarrer ici, il avait le niveau de Miguel Indurain, il avait un talent naturel… Au moins il a eu le courage de le dire, on s’est fâchés, et moi je l’ai retrouvé quand il était ici, il avait le Nelson ici (ndla : un bar d’Amiens) comme bar de nuit, puis on est redevenus amis. Et des fois, on a parlé de choses et d’autres… Ce qui m’embête profondément, c’est qu’à un moment on n’a montré que le cyclisme et je pense que ce n’est pas bien. Parce que je pense que c’est le sport qui à un moment, s’est le plus battu. Ce n’était pas facile parce qu’avec des mecs comme Armstrong et tout, qui avaient installé un truc… Je pense que tout le monde a compris que le cyclisme allait mourir. Moi à un moment je me suis dit « Le Tour va s’arrêter », et ça n’a pas du en être loin. Et puis après cette génération qui arrive elle, n’a pas connu ça. Au lieu de baigner dedans elle a connu au contraire l’inverse. Et donc aujourd’hui, ce n’est pas par hasard que les français remarchent, tu ne vois pas les français 2ème et 3ème du Tour par hasard. Je suis super ami avec Bernard Bourreau depuis des dizaines d’années, je suivais le Tour de l’Avenir, et les Français ils ont toujours marché en Cadets, en Juniors, en Espoirs… C’est quasiment la meilleure nation du Monde les Français ! Bizarrement, après ils ne marchaient plus, il y avait un problème. Aujourd’hui on s’aperçoit que ce n’était pas juste comme ça. Moi j’espère commenter le Tour encore au moins 2-3 ans parce qu’aujourd’hui on a quand même une génération qui arrive, des jeunes qui arrivent, que je connais en plus très bien, et qui vont tout casser. Les Barguil, Bardet, Bouhanni, Démare, Pinot, Vichot… Des mecs qui vont tout casser.
PH : Peut-on donc dire que les choses ont changé ? Le Cyclisme sort-il du dopage ?
TA : Les choses ont beaucoup changé. Ici je me suis occupé du hockey sur glace pendant 6 ans, jusqu’à ce que je parte à Paris, et la 1ère chose que j’ai faite en 92, après Albertville, c’est de leur prendre un préparateur physique. Et les mecs m’avaient pris pour un cinglé, alors qu’aujourd’hui les préparateurs physiques il y en a dans tous les sports ! C’est indispensable, les choses ont beaucoup changé. Les jeunes s’entraînent mais ont aussi du talent naturel. Seulement à un moment il fallait tirer toutes les sonnettes d’alarme, ça partait dans tous les sens. Vu de l’extérieur ça faisait bizarre mais je pense que c’est ce qui a sauvé le vélo, et aujourd’hui je pense que c’est un des sports les plus propres, avec le système ADAMS qui est compliqué, la géo-localisation. C’est quand même très dur de passer à travers, c’est même trop contraignant, moi je ne pourrais pas.
PH : Est-ce à cause de cela que des coureurs se font justement avoir comme Yoann Offredo ?
TA : Ouais… J’étais avec lui quand ça lui est arrivé, au Qatar, c’était compliqué… Il faut être honnête, moi je ne le défends pas, mais je ne suis vraiment pas inquiet. Il y a toujours un mec qui va se faire choper mais je pense que Astana c’est la dernière équipe.
PH : Et justement, nous disions que le sport en général évoluait. Est-ce que parfois vous regrettez le sport d’avant, le cyclisme d’avant, qui était peut-être moins calculé, moins technologique, moins verrouillé ? Comme lorsqu’on parlait du « cadenassage » de la course par la Sky.
TA : Non, tout évolue. Le foot a évolué, tout évolue. Moi ça ne me dérange pas, je vois de ma place, je ne suis là que pour relater les faits, je n’invente rien, c’est pas moi qui fait les tactiques. Il y a une grande spécialité chez nous, c’est de dire le matin, « Là machin il va gagner ». Le seul qui est capable de faire ça c’est Jalabert mais lui il est capable de dire « Putain lui je le sens bien » et il me l’a fait quand même quand Fédrigo gagne à Gap. A 140km de l’arrivée, il avait dit qu’il avait le coup de pédale. Mais bon ce sont des mecs qui sont hors-normes.
PH : Et dans ce sens, n’est-ce pas difficile quand on est commentateur de se positionner par rapport au dopage ? De dire ce que l’on pense ?
TA : Moi ma philosophie elle est simple : je peux avoir des doutes, mais jusqu’à preuve du contraire la présomption d’innocence prime avant tout. Après quand le mec se fait manger, pour moi il est mort. Vis-à-vis de moi… je ne ferai jamais de cadeaux à un mec qu’est dopé.
(Thierry Adam reçoit un appel et doit se dépêcher, il me dit donc gentiment en s’excusant qu’il faudrait qu’on fasse vite)
PH : Je voulais aborder avec vous la question des émotions dans le vélo. De manière générale, que vous procure le fait de voir des centaines de personnes parfois des milliers, se grouper d’une seule voix sur les coureurs, et de les voir les porter ?
TA : Ah oui. Je ne suis pas avec eux, on est dans un studio, mais c’est pour ça que tu fais ce métier là. Ce métier là tu le fais pour l’adrénaline. C’est pour ça que je n’ai pas de pression ! Après il faut choisir ta voie et évidemment le direct c’est hors-norme.
PH : Et ça on va le revoir avec vous dès 2015, avec la retransmission la plus importante, le Tour de France. Qu’est-ce que vous pensez globalement du parcours de cette nouvelle édition ?
TA : Très bien. Christian Prud’homme c’est quand même quelqu’un que je connais très bien, c’était mon patron 4 ans, je lui ai un peu succédé donc on est très proches, et je sais qu’il a accordé beaucoup d’importance à ce Tour. C’est un beau Tour que j’ai regardé et j’ai fait un peu le tri sur la première partie, les 9 premiers jours sont super intéressants. Parce que la 2ème étape elle est très compliquée, avec l’arrivée sur la digue, ce sera un sprint. Le Havre c’est comme ça (met sa main quasiment à la verticale). Après tu as toute une partie avant d’arriver au Havre, qui est en plus compliquée parce que tu as 90 bornes le long de la mer, mais vraiment le long, si il y a un coup de piaule… Et l’arrivée au Havre je suis allé la voir il n’y a pas longtemps elle est comme ça (refait le geste). C’est la même que Boulogne-sur-Mer, 800m comme ça. Après ça ne fait pas d’écarts. Bon après il y a le contre-la-montre par équipe, l’arrivée à Mur de Bretagne qui est pareille… Je me rappelle quand Cadel Evans a gagné… Mais après ça ne fait pas d’écarts, maximum 30 secondes… Quintana à mon avis il peut perdre 30 secondes au Havre pas plus, un truc comme ça, mais ça peut quand même permettre de changer de maillot tous les jours, c’est une belle première partie. Mais elle ne fera pas le classement général, et quand on va arriver dans les Pyrénées, les favoris ne se seront pas dévoilés. Je ne suis même pas sûr qu’un des 4 favoris – parce que pour moi il y en aura que 4 – sera en jaune, ça m’étonnerait. En revanche après, ça va être quelque chose, parce que les 3 étapes dans les Pyrénées sont super dures, ce sont les plus dures, là ça va commencer à formater. Les 2 premières arrivées dans les Alpes elles ne sont pas dures, en revanche l’Alpe d’Huez, après presque 3 semaines, s’il faut aller chercher quelque chose, là en revanche ça peut être intéressant ! (…) (pause) C’est un bon Tour… Un très beau Tour !
PH : De ce fait, qui semble, pour vous, le plus se positionner en favori du Tour de France 2015 ?
TA : Pour moi c’est Quintana. Après il faudra voir parce que j’ai encore vu ce matin Atapuma [ndla : Le colombien de la BMC s’est fait agressé au couteau pour se faire voler son vélo]… Moi je pense que le mieux armé c’est quand même Quintana, parce qu’il aura Valverde avec lui et que je pense qu’ils vont faire une équipe pour gagner. Parce que ça lui correspond bien, lui il peut les tuer sur une étape, il peut tuer tout le monde. Les Pyrénées je les connais bien les étapes, c’est dur, Quintana il peut tuer tout le monde. Nibali ne sera pas au niveau qu’il était cette année ça c’est sûr, Froome devra refaire les efforts qu’il a faits… Moi je verrais bien un très gros duel Quintana-Contador ! Contador [ndla : il n’avait alors pas encore annoncé qu’il tenterait le doublé Giro-Tour] va se venger, l’an dernier il aurait tué Nibali à un moment ou à un autre.
PH : Peut-on se baser sur son retour sur la Vuelta [ndla : Il a remporté l’édition 2014] alors qu’il partait perdant pour le maillot rouge ? Et on retrouvait le duel qu’on aurait eu si Quintana n’avait pas chuté sur cette Vuelta ?
TA : Euh oui. (pause) Mais je pense que ce qui avait fait un peu mal à Contador ce sont les pavés. Mais ça lui apprendra à ne pas venir les repérer. Parce que les mecs sont venus les repérer, sauf que, le truc que je ne savais pas, c’est que Nibali passait aussi bien les pavés. Je crois que personne ne savait qu’il passait aussi bien !
PH : Il a vraiment mieux préparé cette partie qu’on ne le pensait, et est-ce que pour vous c’était la clé ?
TA : Ouais en fait je ne savais pas qu’il était venu, on m’a toujours dit qu’il n’était jamais venu, et j’ai vu des photos sur lesquelles il était sur des pavés… Donc il a dût bien cacher son jeu.
PH : Et vous parliez à l’inverse de Contador, mais ce n’est pas la 1ère fois que cela lui arrive non ?
TA : Oui en 2010, quand Schleck se casse la clavicule et que c’est Chavanel qui était en jaune.
PH : Justement, une derrière question sur ce problème, est-ce qu’on peut espérer revoir les Français briller de nouveau ?
TA : Ce sera dur de faire aussi bien ! Je pense que tu auras des mecs qui vont gagner, il y aura forcément Bouhanni qui va gagner une étape, Démare c’est possible. Maintenant qu’ils n’ont plus cette espèce de situation tous les deux, ils vont se faire la guerre. Bon, il y a Kittel qui est fort.
PH : Vous pensez qu’il est en train de monter en puissance ? C’est ce que nous avait dit Jimmy Casper.
TA : C’est le meilleur sprinteur du Monde, aujourd’hui c’est le meilleur [ndla : Thiery Adam s’est exprimé début Janvier, avant que la saison 2015 ne débute]. Il va faire comme Cavendish a fait. Mais après pour revenir aux français, c’est vrai que sur le Tour, je les verrais bien sur le podium. Quintana, Contador, un d’eux, on peut l’avoir. Après il faut affiner, on verra car ils sont dans la préparation. Aujourd’hui [ndlr : le 3 Janvier 2015] mes 3 c’est ça, dans 3 mois je te redirai, dans 6 mois je te redirai, mais je pense que l’on aura Quintana-Contador, et Bardet pour arbitrer. Après il y a le petit Pinot, Barguil aussi ! Moi j’étais avec eux en décembre, ils ont fait un stage d’oxygénation avec l’équipe de France, et donc on a discuté… Tiens ça c’est quelque chose de marrant. Parce qu’on se connaît, on se voit, on a fait les Championnats du Monde, on était dans le même hôtel qu’eux car on a un accord avec la fédé. Et, là c’était différent parce qu’il n’y avait pas de vélos, on est arrivé pour 3 jours, et les mecs la première chose qu’ils te disent c’est qu’ils n’osent même pas te parler ! Parce que pour eux t’es le commentateur du Tour. Il y a un esprit de respect qui est même trop.
PH : Mais est-ce qu’il n’y a pas chez les français, une certaine pression qu’ils se mettent ?
TA : Non. Il n’y en a plus.
PH : Français libérés ?
TA : Français décomplexés ! Avant ils avaient des complexes, mais aujourd’hui c’est équilibré, les dopés il n’y en a ‘’plus’’. Je ne sais pas quel est le mot le plus juste… « Décomplexés », « libérés »… Mais gagnants ça c’est sûr ! J’avais dit l’année dernière « 3 Français dans les 10 premiers », et un mec sur Twitter m’avait insulté de tous les noms pratiquement. Après ce n’est pas grave je ne fais pas un concours. Mais cette année en revanche je mettrais 1 français sur le podium et j’en mettrais encore 3 dans les 10. Je pense que Pinot, Bardet, et Barguil seront dans les 10. Mais je mettrais bien 5 victoires d’étapes françaises. Je verrais bien Bouhanni en manger 1 ou 2. Je verrai bien Bouhanni gagner à Amiens tiens ! Il y a vraiment quelque chose à faire, je lui ai expliqué la fin de parcours devant le cinéma et un peu après ! (Il détaille la fin de tracé). C’est long, c’est large puis ça remonte un peu, et il restera 250 mètres. Le mec qui a repéré, un mec comme Bouhanni qui est puissant, il l’a gagné. Bon j’y vais !
PH : Et bien un énorme merci pour le temps accordé, c’était parfait !
Interview réalisée le 3 Janvier 2015 à Amiens par Pierre Hertout.